Wokisme or not Wokisme
Telle est la question...
L’idée du wokisme, nouveau courant de pensée venu des Etats-Unis et très en vogue dans beaucoup de pays occidentaux, qui prêche l’éveil de nos consciences concernant nos comportements envers les autres êtres humains et la nature en les imprégnant de respect, d’amour et de compassion, est incroyablement séduisante. Néanmoins, ce concept devient beaucoup moins attractif quand il sert simplement à remplir une nouvelle case marketing, que la bienveillance est remplacée par la “bien-pensance” et ses nouvelles règles de vie édictées par une poignée de personnes censées détenir LA vérité.
Si une partie d’entre-nous rêve à une nouvelle façon d’envisager le monde, à des modes de vie plus inclusifs en adéquation avec qui nous sommes en tant qu’être humain, et tente, par tous les moyens à sa disposition, de réveiller l’autre partie hypnotisée par les écrans, notamment via la diffusion de contenus empreints de réflexion sur le respect et la tolérance, ces contenus sont malheureusement souvent plus moralisateurs qu’empathiques, plus riches de culpabilité que de nourriture pour l’esprit.
Au lieu de porter des valeurs telles que “enrichissons-nous de nos différences”, “soyons attentifs à nos gestes quotidiens pour la planète” et “réfléchissons à une nouvelle économie écologique et sociale” – c’est-à-dire le développement d’innovations technologiques “propres” qui génère de l’emploi – ces messages portent le plus souvent sur des principes stériles comme “il n’est pas respectueux de faire de l’humour sur une minorité à laquelle nous n’appartenons pas” – cela implique que ladite minorité n’a pas suffisamment de recul sur elle-même pour rire de ses propres travers, point de vue qui me semble très insultant envers cette communauté – ou encore ” il faut interdire les voitures à essence et obliger les gens à rouler en voitures électriques” – avec des batteries hautement polluantes dont nous nous débarrasserons en Inde ou au Bangladesh et qui contamineront la nature et les populations sur place (mais ce n’est pas chez nous donc ce n’est pas grave!) et une électricité produite avec de l’énergie nucléaire ou des centrales au charbon hautement néfastes pour notre planète – ….
J’aime à penser, comme certains sociologues, que le fait qu’un acteur noir, Dennis Haysbert en l’occurrence, ait incarné un Président des Etats-Unis dans la série “24 Heures Chrono” a aidé à l’élection de Barrack Obama à ce poste quelques années plus tard. Si le même ressort, en France, a aidé Jacques Chirac, bien involontairement de la part des auteurs, à être élu grâce au capital sympathie de sa marionnette des Guignols de l’Infos, ce n’est pas sans me faire sourire. Quand les fictions et l’humour aident à faire évoluer les mentalités – même si je ne suis pas sûre qu’on puisse parler d’évolution des mentalités à propos de Jacques Chirac – dans le bon sens sans prosélytisme mais simplement en proposant un éclairage différent sur le monde sans jugement ni moralisation, ça fonctionne.
De la même façon, les personnages “cools” dans les films et séries des années 1970 et 1980 étaient généralement des fumeurs, ce qui incitaient mécaniquement les jeunes de cette époque à fumer par mimétisme pour leur ressembler. Il n’y a aucun doute possible que le bannissement de la cigarette des fictions cinématographiques et télévisées a aidé à éradiquer le fléau sanitaire du tabagisme sur ces 30 dernières années en construisant de nouveaux modèles sans cigarette auxquels les jeunes peuvent s’identifier.
Et c’est là que le bât blesse pour moi quand il s’agit de la façon dont les séries et films actuels présentent l’homosexualité. Depuis plus de 15 ans maintenant, les séries intègrent régulièrement des hommes et femmes homosexuels dans leurs scénarios, ce que je trouve, bien évidemment, plus que pertinent car chacun doit pouvoir se sentir représenté dans la société dans laquelle il vit et, par extension, pouvoir s’identifier dans le reflet du miroir de la fiction. Néanmoins, depuis quelques années, la vision de l’homosexualité dans ces fictions a de moins en moins à voir avec la réalité de l’homosexualité. En effet, sorti de nulle part en terme d’écriture et de construction de caractère, très régulièrement, les personnages féminins deviennent, du jour au lendemain, au gré des lubies des scénaristes, bisexuelles ; d’un épisode sur l’autre, elles sortent avec des hommes, puis tombent amoureuses d’une femme pour repartir avec un homme ensuite… Etrangement, ce changement soudain d’orientation sexuelle n’arrive jamais aux personnages masculins qui sont, comme c’est généralement le cas dans la vie, soit hétérosexuels, soit homosexuels. J’en déduis que cette vision de la sexualité, outre à coller à l’air du temps d’une pseudo libération des mœurs, est plus liée à un fantasme récurrent des scénaristes mâles qu’à un véritable propos sociétal. Dans la période #MeToo actuelle, je trouve ce traitement de l’homosexualité féminine extraordinairement misogyne.
Néanmoins, en soi, ça pourrait ne pas être gênant, après tout, car il ne s’agit que de fiction, sauf que, si nous partons du postulat énoncé plus haut que les fictions ont une influence sur l’évolution des mentalités, ce que montrent ces personnages c’est que, comme le prônent beaucoup de communautés religieuses homophobes, l’homosexualité est un choix d’orientation sexuelle et non la façon dont certains d’entre nous naissent. La plupart des personnes homosexuelles, hommes ou femmes, tout comme les hétérosexuels, ne sont pas bisexuels et cette façon de les représenter ouvre la porte et justifie certains courants de pensée – et leurs dérives – qui prônent qu’il est possible de changer d’orientation sexuelle à condition de simplement le vouloir.
De la même façon, la surreprésentation de la communauté homosexuelle dans les fictions peut avoir l’effet inverse de celui souhaité, à savoir une représentation plus inclusive de la société. En effet, de plus en plus régulièrement et, encore une fois, pour les mêmes raisons, cela touche plutôt les personnages féminins, dans les histoires narrant les aventures d’adolescents, les personnages archétypes des meilleures amies finissent quasi systématiquement par s’embrasser à pleine bouche et, même s’il s’agit de l’âge de l’exploration sexuelle, nous sommes très loin de la réalité vécue par les adolescentes : il ne m’est jamais venu à l’esprit d’embrasser mes amies de collège ou de lycée sur la bouche même si nous étions adeptes de manifestations affectives ostentatoires de type câlins ou balades main dans la main. Du coup, c’est moi, en tant qu’hétérosexuelle qui ne me sent plus du tout représentée dans ces fictions. De plus, je ne suis pas sûre que cette représentation soit pertinente en tant que modèle pour les adolescentes qui, en quête d’identité et de “normalité”, auront du mal à s’y identifier ou à se construire autour.
En outre, ce traitement complètement décorrélé de toute réalité répond aux critères injustes des quotas : nous intégrons des personnages noirs, maghrébins, homosexuels… à nos histoires parce que nous, scénaristes blancs et/ou hétérosexuels, y sommes obligés pour coller à l’air du temps ou à des injonctions sociétales bien-pensantes, sans que ces personnages soient construits autour de leur identité propre en faisant de leur “différence” une richesse pour le propos de la fiction ; à cause de cette artificialité liée à l’ombre du wokisme, cette représentation de principe finit par me crisper, et probablement d’autres comme moi, et je m’agace autour de la récurrence obsessionnelle et artificielle de ces personnages dans les séries. Cet agacement, s’il est bien anodin de mon côté car je sais à quoi il est dû, aura, au sein de nos sociétés, à terme, un effet de rejet, notamment de la communauté homosexuelle, alors que l’idée de départ, si elle est portée par des valeurs – la différence comme vecteur d’enrichissement de chacun – et non par des principes – l’homophobie c’est mal -, est d’effectuer un changement des mentalités en douceur pour aller vers une société plus égalitaire.
Il est important pour une société d’être fière de tous les individus qui la composent et d’être à même de les intégrer tous à ses représentations fictives de façon juste et intelligente. Nous sommes collectivement responsables des modèles de société que nous souhaitons donner à nos enfants et de l’image plus ou moins idéale que nous souhaitons en projeter. Au lieu de faire les choses par obligation en respectant le politiquement correct, intéressons-nous à notre propos pour lui donner de la profondeur et du sens.
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