La Vie Allégée
Il y a quelques jours, je préparais un quatre-quart et, en prenant mon beurre, je me suis rendue compte que j’avais acheté par inadvertance un beurre allégé en matière grasse, c’est-à-dire que le beurre a été émulsionné avec de l’eau… Le principe même du beurre est d’être une matière grasse donc pourquoi vouloir l’alléger ?!
Depuis des décennies, les industriels de l’agro-alimentaire, aidés par les médias qui nous expliquent chaque jour, en nous assénant des canons de beauté d’une morbide maigreur, à quel point nous sommes gros – pardon, en surpoids pour être politiquement correct ! -, nous proposent des produits allégés en matières grasses ou en sucre, les matières grasses étant ironiquement remplacées par des sucres de type amidon de maïs et les sucres par des substituts chimiques cancérigènes du type aspartame. Aucun aliment en soi ne fait grossir, c’est la quantité que nous ingérons associée à notre métabolisme qui fait la différence mais chaque huile (à l’exception de l’huile de palme et celle de coprah/coco), chaque beurre, chaque crème, chaque sucre qu’il soit lent, semi-lent ou rapide a des vertus pour le corps.
Nos corps ne sont pas gros, ils ont la corpulence adaptée à notre âge, notre physiologie et notre façon de nous nourrir et, même si le sport nous permet de rester en forme, il ne supprime pas l’excès de poids et on peut être à la fois de forte corpulence et musclé. Chacun de nous est un être unique et notre corps ne l’est pas moins puisqu’il est une partie de nous. C’est notre ego, aidé par les desiderata de nos sociétés, qui nous explique que nous sommes trop gros – par rapport à quoi, on se le demande ! – ou plutôt pas assez séduisant pour être aimés car c’est bien ça le fond du problème. Le poids ne devient un réel problème que lorsqu’il met en péril notre santé, sinon chaque poids est idéal s’il correspond à notre morphologie.
Pendant des années, lorsque j’avais entre 20 ans et 30 ans, chaque printemps, comme beaucoup de femmes, je décidais de perdre un peu de poids – je pesais 56 kg pour 1m66, donc autant vous dire que j’étais loin d’être en surpoids – et d’aller à la piscine pour perdre ma cellulite, le tout associé à des crèmes amincissantes toutes plus chimiques les unes que les autres… Après la naissance de ma fille, à l’aube de mes 40 ans, alors que j’avais accès chaque été à la piscine de mes beaux-parents pendant plusieurs semaines, j’ai enfin pu prendre conscience que, même si la natation associée à de la marche à pieds régulière faisait diminuer ma cellulite, elle ne la faisait pas disparaître car celle-ci est liée à la fois à ma morphologie et à ma circulation sanguine. Quels qu’aient été mes efforts, je n’aurais jamais réussi à obtenir les jambes de Gisèle Bunchen car je ne suis pas Gisèle Bunchen mais une femme tout aussi belle, simplement différente. Si j’avais eu cette prise de conscience plus tôt, ça m’aurait évité 2 décennies de culpabilité de ne pas faire assez d’effort pour être belle… Et ça m’a rappelé le film « Mange, Prie, Aime » tiré du merveilleux roman – et leçon de vie – d’Elizabeth Gilbert ; au début du film, Julia Roberts, qui tient le rôle de l’héroïne en quête de sens, explique à une amie rencontrée dans une boutique qu’aucun homme n’a jamais fui une femme dont quelques bourrelets sont apparus sur sa silhouette après qu’elle s’est déshabillée. Avez-vous jamais été rejeté par quelqu’un avec qui vous alliez faire l’amour une fois qu’il vous a vu nu ? De plus, si vous regardez les canons de beauté de chaque époque, à la Renaissance, nos top-models n’auraient jamais pu figurer sur les tableaux des grands maîtres par manque de volupté et de formes.
Notre corps est notre meilleur ami, nous allons partout avec lui et nous devrions, chaque jour, le remercier de nous y emmener avec autant d’amabilité et de complaisance malgré les mauvais traitements que nous lui infligeons. En effet, malgré ses bons et loyaux services, nous ne prenons pas soin de lui et le torturons toujours plus car il ne correspond pas à la case marketing “canon de beauté de notre époque” dans laquelle nous souhaitons le faire rentrer coûte que coûte… Nous n’avons généralement conscience de lui que lorsqu’il est en souffrance – et nous lui en voulons instantanément de nous lâcher au moment où nous avons besoin de lui – ou pour le juger impitoyablement sans jamais l’écouter. Pourtant, qui serions-nous sans lui ? Comment connaîtrions-nous les plaisirs des sens : le goût sucré d’un brugnon juteux ou celui chocolaté d’un brownie fondant, les caresses de l’être aimé, l’odeur des roses ou de l’herbe fraîchement coupée, l’émerveillement face à la diversité de couleurs d’un couché de soleil ou d’un arc-en-ciel, la musique qui sert de bande originale à nos vie… Chacune de ces sensations, comme chacune de nos émotions, est physique, portée par notre bien-aimé corps qui nous apporte tant de bonheur et de satisfactions au quotidien sans que nous ne le remercions jamais en échange…
A propos de bonheur, auriez-vous envie d’un bonheur allégé ? Si nous sommes capables de nous en remettre à n’importe qui pour notre alimentation, il en va de même pour notre bonheur dicté par les médias, les réseaux sociaux, les religions, les gouvernements, les sociétés qui ne cessent d’alléger notre bonheur… N’avez-vous jamais entendu qu’il fallait savoir se contenter des petits moments de bonheur ? Ce proverbe a été grandement détourné de son sens premier, si vous voulez mon avis. En effet, si je pense qu’il est indispensable d’être conscient de chaque moment de bonheur que nous offre la vie, je ne crois pas qu’il faille “s’en contenter”. Je crois que nous méritons tous un bonheur et un bien-être absolus et sans faille – attention, je ne parle pas ici de plaisir égotique mais bien de bonheur profond – et que nous ne devons jamais cesser de les faire croître dans nos vies. Nos possibilités de vie et l’accession à nos rêves sont sans limite si nous n’écoutons pas nos peurs.
Et la tristesse allégée, me direz-vous ? Je vous répondrai que chaque émotion est importante dans nos chemin de vie et que la tristesse nous permet de mieux goûter le bonheur quand nous le rencontrons, de mieux le savourer ; il nous serait difficile d’apprécier à leur juste valeur les moments de farniente si nous ne travaillions jamais. De plus, nos tristesses nous permettent de mieux comprendre celles des autres et d’être d’autant plus apte à développer notre aptitude à la compassion, notre capacité à soutenir et consoler ceux que nous aimons.
Si nous mettons un mouchoir sur nos émotions “négatives”, si nous les allégeons, nous mettons un mouchoir sur toute notre capacité à ressentir, y compris les émotions agréables. En revanche, notre capacité à vivre alignés avec nous-mêmes, en harmonie avec le monde qui nous entoure et ce que nous souhaitons profondément, nous permet d’être moins affectés par les moments difficiles de la vie que nous pouvons alléger grâce à notre bien-être constant et à notre capacité à comprendre que rien ne dure jamais donc que les moments difficiles finissent toujours par passer eux aussi.
S’il y a un domaine que nous sommes tout à fait en droit d’alléger dans notre vie, c’est le poids que fait peser sur nos épaules le point de vue de nos sociétés sur nous-mêmes, le poids des jugements négatifs que nous faisons peser sur notre corps et nos actions, certainement pas le beurre que nous mettons dans nos gâteaux ! Vivons pleinement, aimons, rions et mangeons sans nous soucier de demain car qui c’est où nous serons à ce moment-là !
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